le compositeur et l'œuvre

 

La discographie

 

Chronologie simplifiée

1906 Naissance le 25 septembre à Saint-Pétersbourg.

1919 Admis au conservatoire de Petrograd (ex- Saint-Pétersbourg), étudie le piano et la composition 1926 Succès international de sa Première Symphonie, mène conjointement une carrière de pianiste

1936 Condamnation dans la Pravda de son opéra "Lady Macbeth", jouée 181 fois à Petrograd et Moscou en deux ans

1937 Succès triomphal de la Cinquième Symphonie en novembre. Quelques mois plus tôt, le compositeur avait fait l'objet d'un premier interrogatoire politique en pleine terreur stalinienne. Le second et dernier interrogatoire devait avoir lieu deux jours plus tard, un lundi, avant une déportation quasi certaine. Dimitri Chostakovitch se présenta le lundi, mais l'officier en charge de son dossier avait entre-temps été exécuté.

1942 Succès triomphal de la Septième Symphonie, hymne officiel contre le fascisme, et première des trois symphonies dites "de guerre"

1943 Accueil réservé pour la Huitième Symphonie, fresque sombre de la guerre

1945 Accueil très réservé pour la 9ème Symphonie, œuvre néoclassique et ironique

1948 Condamnation pour formalisme par Jdanov

1955 Mort de Staline et retour en grâce politique et artistique

1975 Décès le 14 août.

 

Le compositeur

Dimitri Chostakovitch est aujourd'hui considéré comme le "Beethoven du XXème siècle", probablement parce que comme Beethoven, il est l'auteur d'œuvres symphoniques monumentales, héroïques, véritables chant d'un peuple, et d'un corpus de quatuors où il s'est exprimé et confié, libre de toute contrainte.

Cette opposition entre une œuvre "officielle", publique, et une œuvre intime, libre, caractérise toute la vie du compositeur, qui fut constamment déchiré entre l'indépendance de son génie créateur et son rôle éminent, mais visiblement subi, au sein de la politique culturelle de l'Union Soviétique.

Cette dualité a marqué toute l'œuvre de Chostakovitch du sceau de la schizophrénie, et le monde occidental, qui ignorait les trésors d'habileté qu'il fallait à un artiste pour survivre en Union Soviétique, mit du temps à comprendre le message essentiel du compositeur.

Ainsi, en 1960, on pouvait lire dans le "Grand Larousse encyclopédique en dix volumes" : "(…) Après une période de création d'œuvres d'avant-garde (…), le compositeur se rallia à une esthétique plus simple, exempte de recherches formelles ou personnelles, et relatant les événements importants, sociaux et historiques de l'URSS, notamment à la suite du "rapport Jdanov" (1948) aux prescriptions duquel il se soumit. En dehors de quelques pages de musique de piano (…) ou de chambre, il réalisa surtout des œuvres de circonstance, cantates ou grandes fresques pour orchestre (le Chant des Forêts; 7e symphonie dite "de Leningrad", 1941 ; 8e et 9e symphonies, 1945, 1946) et de nombreuses musiques de films"

Les erreurs de dates sur les Huitième et Neuvième Symphonies, et la mise sur le même plan d'une œuvre essentielle comme la Huitième Symphonie et d'une œuvre de compromission comme l'est effectivement le Chant des Forêts, sont révélatrices du caractère longtemps trompeur de la célébrité de Chostakovitch.

 

La Huitième Symphonie

Dimitri Chostakovitch écrivait en 1956 dans la revue "Sovietskaia Mouzika" (cité dans "Dimitri Chostakovitch" de Krzysztof Meyer, Fayard, page 285) : "Je regrette beaucoup que la Huitième Symphonie, dans laquelle j'ai mis tant de cœur et de raison, n'ait pas été jouée chez nous depuis de longues années. J'ai voulu exprimer dans cette œuvre les expériences subies par le peuple et y rendre la terrible tragédie de la guerre. La Huitième Symphonie, écrite au cours de l'été 1943, est une réponse aux événements de cette époque difficile ; cela me semble parfaitement fondé."

En effet, la création le 4 novembre 1943 à Moscou par l'Orchestre national d'URSS sous la direction d'Evgueni Mravinski reçut un accueil réservé, en raison de son caractère tragique, dont la noirceur parut insuffisamment compensée par un final en forme d'interrogation empreinte de résignation.

La Neuvième Symphonie, créée le 3 novembre 1945, œuvre courte, néoclassique, traversée de motifs grotesques chers à Chostakovitch, déplut aux critiques et aux autorités qui attendaient du compositeur qu'il affirme la suprématie de l'URSS par une symphonie triomphale qui atteigne les dimensions de la Neuvième Symphonie de Beethoven. Il faut ici souligner le courage du compositeur qui abandonna son premier projet de Neuvième Symphonie grandiose, qui aurait plu aux autorités soviétiques, mais qui aurait été un défi dégradant pour Chostakovitch au message humaniste, universel, de "l'Hymne à la Joie" beethovénien. Ce manifeste artistique et politique allait entraîner sa disgrâce jusqu'à la mort de Staline, soit durant dix longues années.

Composée en seulement deux mois, au sortir de la bataille de Stalingrad, la Huitième Symphonie est reconnue comme un des sommets, sinon le sommet de la production orchestrale de son auteur, et une œuvre majeure du XXème siècle.

Patrick Szersnovicz a écrit à son propos dans "Le Monde de la Musique" du mois de juin 2000 (p. 38) : "Jadis dénommée "Stalingrad", l'œuvre, longtemps méconnue, occupe une position cruciale au sein de la production de Chostakovitch. Conçu durant l'été 1943, ce monument qui dure plus d'une heure apparaît aujourd'hui comme une totalité où le projet formel et l'expression s'allient parfaitement, un étrange et altier geyser orchestral qui pleure le sang versé, les ruines, et plonge pourtant dans la construction abstraite. Ce n'est pas la violence de la dénonciation ni le rejet de la guerre qui frappent le plus dans la Huitième, c'est la croissance presque animale d'une volonté, l'épuration des passions, l'infini du chant, ces extraordinaires lignes d'horizon qui, au sommet de progressions terrifiantes, rappellent la beauté de la vie et les exigences de l'avenir."

La force expressive de cette oeuvre est encore ressentie de manière extrêmement forte au début du XXIème siècle, à en juger par la réaction du public lors d'un concert de Bernard Haitink dirigeant le London Symphony Orchestra. Jacques Schmitt, correspondant musical pour la presse suisse a ainsi raconté à l'auteur de ce site : "J’ai été très étonné de voir combien de personnes partaient durant le concert de cette extraordinaire 8ème de Chostakovitch à Gstaad. Ce n’était certainement pas, pour la plupart, à cause des dissonances, mais je crois, plus simplement parce que pour certains, la force de cette musique était tout simplement insupportable. Comme certaines gens détournent le regard devant des scènes de violence parce qu’elles ne peuvent regarder la réalité des choses. Ainsi que l’autruche enfonce sa tête dans le sable lorsque arrive le danger. Sommes-nous pour autant des voyeurs ?"
 

La discographie

La discographie de l'œuvre orchestral de Dimitri Chostakovitch est d'une exceptionnelle qualité, grâce aux chefs russes tels que notamment Evgueni Mravinski, Kiril Kondrachine, ou le chef allemand Kurt Sanderling, qui travaillait en Union Soviétique dès 1936.

Les chefs occidentaux comme Bernard Haitink et Leonard Berstein ont signé également de grands enregistrements. Si leur réputation dans ce répertoire semble même dépasser, dans les pays anglo-saxons, celle des chefs russes, la Huitième Symphonie semble garder une relation particulière avec Evgueni Mravinski, dédicataire de la Huitième Symphonie, seule personnalité à s'être vu dédiée une des quinze symphonies du compositeur.

Au moins trois enregistrements de la 8ème Symphonie nous sont parvenus, enregistrés en public en 1947, 1960 et 1982, tous excellents, mais le dernier présentant notamment une meilleure qualité sonore et recueillant de manière générale tous les suffrages.

La première publication "occidentale" de cet enregistrement de 1982 n'intervint qu'en 1989, quelques semaines avant la chute du Mur de Berlin. Hugues Mousseau commenta ainsi dans "Le Monde de la Musique" la lecture de Mravinski :

"[elle] n'est pas seulement la plus extrême, la plus totale ; elle est aussi la plus dominée - musicalement et intellectuellement - qui se puisse imaginer. Tout est dit déjà dans l'exorde introductif confié aux cordes : une tension maximale, ponctuée d'accents d'une violence lapidaire, jamais outrée. Chaque silence, chaque rupture, chaque récurrence motivique, chaque inflexion s'impose sans appel et se fond dans un gigantesque geste architectural qui, pour être réalisé d'un seul jet, n'en est pas moins minutieusement subdivisé. (…) Chez Mravinski, l'horreur n'est jamais fabriquée ni surajoutée. Elle intervient comme un élément endogène. Le solo de cor anglais qui, dans l'"Adagio" initial, plane sur d'oppressants trémolos de cordes brûle d'une flamme sinistre unique et donne à entendre une multiplicité insoupçonnée d'événements sonores (…), un moment d'anthologie au même titre que la transition entre le troisième et le quatrième énoncé du thème de la "Passacaille" (largo)." Avant de conclure : "l'osmose totale entre l'œuvre, le chef et l'orchestre fait de cet enregistrement le plus important jamais consacré à Dimitri Chostakovitch. Mieux, il fait partie de ceux, rarissimes que l'on peut sans risque qualifier de "définitifs".

 

Après la Huitième Symphonie

Après avoir découvert la Huitième Symphonie de Dimitri Chostakovitch, trois œuvres pour qui souhaite aller plus loin :

- La Dixième Symphonie, probablement le second opus majeur de l'œuvre symphonique pour grand orchestre de Chostakovitch, plus abstraite que la Huitième.

- La Cinquième Symphonie, la plus populaire des 15 symphonies et effectivement probablement la plus immédiatement accessible pour un public néophyte.

- Le Huitième Quatuor, œuvre autobiographique douloureuse, témoignage exceptionnel d'une époque, d'une vie.

 

Sites Internet sur Chostakovitch

Ils sont nombreux, pour l'essentiel en langue anglaise, mais deux d'entre eux constituent un point de départ idéal:

- Association Internationale Dimitri Chostakovitch

- DSCH Journal (en anglais)